La muraille qui enserre la mosquée-cathédrale de Cordoue est ornée de motifs géométriques. Les reproduire active la partie de mon cerveau qui aime les puzzles. Le piège dans cette situation est de ne plus lever les yeux de sa feuille et de continuer la suite logique en se déconnectant du modèle. Pour ne pas représenter une simple vue de l’esprit, j’essaye de maintenir mon attention en cherchant l’aspérité, la petite asymétrie qui fait la particularité du sujet. Les défauts de la façade la rendent unique et racontent qu’une main humaine l’a façonnée.
J’ai dessiné ici il y a dix ans. J’attends depuis l’occasion de revenir. Je n’ai jamais oublié la sensation d’espace infini que procure l’alignement des colonnes aux marbres multicolores. Devant la porte, mon billet à la main, je fais un rapide calcul. Nous n’avons le droit de rester que deux heures à l’intérieur. Peindre sur un grand format me prendra une heure et demie, voire plus. Je vais devoir choisir un angle de vue rapidement et ne verrai pas grand chose d’autre. Tant pis. Le plus important pour moi, c’est de pouvoir peindre une deuxième fois la Mezquita.
À l’intérieur, je savoure quelques minutes la lumière et le calme du matin. Des prières résonnent ici depuis des siècles, l’air est chargé de souhaits murmurés. Je pose mon tabouret dans un coin discret et commence l’esquisse. Il est 9h du matin, il fait 40 degrés dehors. Je suis tellement concentrée que la tête me fait mal. Des personnes tentent de me parler, je réponds par un sourire crispé et des sons indistincts. En traçant la courbe des arcades, je pense à la concentration nécessaires aux pilotes de formule 1 à chaque virage. Le tintement d’une clochette annonce la fermeture des portes. J’ajoute un personnage à gauche pour donner l’échelle du lieu.
Quand je retrouve mon carnet de 2012, je cherche la différence. Je constate qu’en dix ans de pratique, mon trait est devenu plus net, plus affirmé. Mais ce qui me surprend, c’est la similitude. Sur les deux compositions, je retrouve le même personnage à gauche, qui prend une photo dans une posture identique, entouré d’une arcade et d’un un sol qui s’effacent de la même façon. J’évolue sur une base qui reste identique.