Parlons à présent de l'embrouille.
Dans ce coin d'ombre confortable où nous avons dessiné Mamadou, nous avions le choix
entre deux points de vue : les lavandières, ou les hommes regroupés devant la boutique orange.
Nous en étions à discuter de l'intérêt de l'un ou de l'autre, quand un homme, envoyé par les lavandières,
nous crie :
"Vous ne connaissez pas la loi ? On a pas le droit de dessiner quelqu'un ou quelquechose sans autorisation !".
"Ah bon ?", je rétorque, "Toi qui la connais explique moi : à qui je demande l'autorisation pour dessiner une foule ?"
"Tu n'as pas à demander, la loi s'applique si on reconnait les gens".
"D'accord. Et si je veux dessiner un animal ou un arbre?"
"Facile, tu demandes a son propriétaire".
"D'accord. C'est simple. Mais si je veux dessiner le ciel par exemple, je fais comment ? Je demande à Dieu ?"
"Ouh... toi, tu es philosophe".
Le débat est lancé. Chacun va de son avis sur le droit de portrait. Je comprends alors l'origine du problème :
les lavandières ont peur qu'on fasse des cartes postales de leurs portraits, et donc de l'argent sur leur dos.
Nous expliquons que nous ne sommes pas dans le business de la carte postale : nous voulons en fait faire un film,
qui sera gratuitement diffusé sur les murs du quartier jeudi soir. Aussitôt c'est la cohue, tout le monde
veut être dessiné. L'attrait pour l'écran est un élan mondial. Nous restons là, et choisissons le groupe
d'homme devant la boutique orange, sous le regard venimeux des lavandières mi-outrée, mi envieuses.