Retour à Monde

Au début, sœur Augustina refuse que je dessine : elle a peur que je déconcentre les brodeuses. Je lui explique que moi aussi, je mets en silence des couleurs sur des surfaces blanches. Elle finit par accepter et je suis adoptée pour la journée.

Personne ne discute. Les jeunes filles s’attablent ensemble et se jettent des regards amusés. Les plus âgées, indifférentes, travaillent seules, toujours à la même place. La plupart d’entre elles ont appris le métier il y a plus de vingt ans. Elles gagnent 300 roupies (3,77 euros) par jour.

Ainsi, Denise vient au couvent chaque jour depuis trente ans. Elle avait 18 ans quand elle a commencé à broder. Elle chuchotte «Ma spécialité, se sont les lignes. J'arrive à les faire bien droites, alors je brode le contour des draps et des serviettes.» 

Le temps s'est arrêté ici. Les mêmes gestes se répètent sans fin. Je songe que si, un jour, le monde bascule dans le chaos, ces femmes seront encore en train de broder en silence.