Les tapas défilent sur le comptoir cuivré d’un bar de Grenade. J’esquisse l’ambiance sur un set de table maculé de gras. Quand je donne mon dessin au patron, il le plie, le glisse entre deux barriques et m’offre un verre de vin. Quelques habitués me remarquent et viennent demander le prix d’un portrait.
Après la question du temps vient souvent celle de l’argent. Combien vaut un dessin ? Trop cher, c’est une arnaque. Pas assez, c’est accepter de se faire exploiter tout en pratiquant une concurrence déloyale. Je consulte des barèmes, interroge d’autres professionnels, estime le temps de travail, m’adapte au commanditaire. Parfois je refuse de vendre un dessin quel que soit le prix, d’autre fois j’en fais cadeau par plaisir. Ce jour-là, j'échange les portraits contre des grands verres de Vino Tinto. Après trois commandes, j'ai du mal à faire un trait droit, mais je m'amuse bien...
Si le marché de l’art ne concerne qu’une minorité de connaisseurs, l’art lui-même est profondément universel. J’ai pu constater à quel point il touche tout le monde, cultures et classes sociales confondues, en voyageant de longs mois avec un carnet. Je me souviens des thés à la menthe, des kirsch, des cafés serrés, de la confiance offerte par ceux qui ont accepté de poser dans des cuisines obscures ou d’élégants salons.
Ce sont les beaux souvenirs qui rendent les dessins inestimables.